Dans un monde où les conflits contemporains évoluent de plus en plus en une guerre davantage tournée sur l’utilisation de technologies interconnectées et innovantes. La supériorité terrestre demeure un enjeu stratégique majeur pour les puissances militaires. Où l’Europe sur fond de sursaut stratégique doit se doter d’une défense solide et autonome. C’est dans ce contexte que le Main Ground Combat System (MGCS), ambitieux projet franco-allemand initié en 2017, visant à concevoir le char de combat du futur à un moment où devront être remplacés les chars Léopard 2 et Leclerc d’ici 2040. Le MGCS ne se contente pas de moderniser le blindé traditionnel, mais ambitionne de révolutionner la guerre terrestre en une vision de rupture nécessaire au regard du contexte géopolitique actuel. Ce projet devra intégrer à la fois, l’apport de l’intelligence artificielle (IA), une connectivité accrue et l’intégration de capacités de combat autonomes. Mais aussi, l’espoir d’une Europe capable de répondre seul à ses besoins de défense, sans dépendance excessive envers les États-Unis.
Pourtant, derrière ce réveil affirmé se cachent des défis de taille : Entre rivalités industrielles et visions stratégiques parfois contradictoires.
Malgré son importance stratégique pour la souveraineté européenne, le projet MGCS a très vite été rattrapé par des logiques industrielles de concurrence, qui sont révélatrices des différentes tensions structurelles qui freinent ainsi la coopération en matière d’armement en Europe.
En effet, depuis son lancement en 2017, ce projet a été le terrain de vives luttes internes et d’influence sur la répartition des tâches et des responsabilités, notamment autour du choix du canon principal. D’un côté, KNDS France (ex-Nexter) défend son ASCALON, un canon capable de tirer des obus de 120 mm et 140 mm avec des munitions intelligentes capables de frapper au-delà de la ligne de vue. De l’autre, Rheinmetall mise sur son propre canon de 130mm, qui est déjà intégré à son char KF-51 Panther, qui a récemment suscité l’intérêt de plusieurs armées, dont celle italienne soucieuse de renouveler sa flotte vieillissante.
Mais derrière ces divergences techniques se cachent des enjeux économiques majeurs. En réalité, chaque industriel défend ses intérêts économiques et la survie de ses chaînes de production. Par exemple, Rheinmetall qui équipe déjà 22 armées à travers le monde, illustre cette stratégie de diversification, d’autant plus nécessaire face au ralentissement du MGCS et à la concurrence accrue des États-Unis et de la Corée du Sud, qui gagnent du terrain en Europe avec des chars comme l’Abrams ou le K2 Black Panther.
Dans ce contexte, le développement du KF-51 Panther, conçu sur la base du Leopard 2A4, s’impose comme une alternative transitoire crédible pour la Bundeswehr, permettant à l’Allemagne de maintenir ses capacités tout en attendant le MGCS.
De plus, le partenariat naissant entre Leonardo, Rheinmetall et l’armée italienne vient rabattre les cartes. Puisque Berlin semble maintenant jouer une double stratégie, à la fois diversifier ses options entre le MGCS et une montée en puissance alternative du KF-51 Panther, qui peut être vu comme un palliatif à court terme du futur système MGCS, au moins comme une solution intérimaire face aux ralentissement industriel.
Ainsi, cette situation met en lumière l’une des failles récurrentes de l’industrie de défense européenne : l’absence de mécanismes de gouvernance clairs permettant d’arbitrer efficacement les divergences entre partenariats. Au-delà de la technologie, il s’agit d’une lutte d’influence économique et politique dont l’issue déterminera non seulement le sort du MGCS, mais également la crédibilité de l’Europe dans sa capacité à conduire et terminer des programmes de défense conjoints et ambitieux.
Il est essentiel que ces rivalités industrielles et les rapports de force entre Paris et Berlin, pourtant souvent présentés comme le moteur de l’Europe, ne viennent pas fragiliser les besoins opérationnels concrets de leurs armées respectives.
Malgré ces tensions, le début de l’année 2025 a marqué une étape importante dans la structuration du programme. En effet, Emmanuel Chiva (délégué général pour l’armement), avait annoncé le 24 janvier 2025, la signature entre le ministre des Armées Sébastien Lecornu et son homologue allemand Boris Pistorius, un accord entre les industriels visant à créer la « Project company » une coentreprise détenue à parts égales par Thales, KNDS France, KNDS Allemagne et Rheinmetall. Une signature symbolique qui a pris vie le 10 avril dernier, puisque ces entreprises ont officiellement constitué la société commune « MGCS Projet Company GmbH ».
Cette coentreprise sera chargée d’assurer la maîtrise d’œuvre industrielle du projet sous la direction de Stefan Gramolla (ingénieur expérimenté et colonel de réserve de la Bundeswehr). Son but est de piloter la définition du concept global, la maturation technologique et la coordination industrielle, en lien étroit avec la Combined Project Team franco-allemande et le BAAINBw (Office fédéral des équipements, des technologies de l’information et du soutien en service de la Bundeswehr). De fait, le premier contrat de développement est attendu pour l’automne 2025. Il doit lancer une phase d’études détaillées jusqu’en 2028, avant la fabrication des premiers démonstrateurs en 2033 et une entrée en service opérationnel visée pour 2040.
Ainsi, le partage des responsabilités qui a longtemps été le fer de lance des crispations autour des questions de leadership, semble désormais stabilisé. En effet, le programme repose sur huit grands piliers technologiques : mobilité, tourelle, munitions, capteurs, simulation, protection, logistique, combat collaboratif. Des piliers qui sont maintenant répartis équitablement entre industriels français et allemands, visant à sécuriser à la fois la coopération mais aussi à éviter que le programme ne soit à nouveau ralenti par des querelles industrielles.
Enfin, il est important de rappeler que le MGCS n’est pas qu’un simple char d’assaut. Finalement le programme vise en réalité à développer une famille de systèmes interconnectés, comprenant chars, drones, robots et autres plateformes d’appui, le tout articulé autour d’un environnement de Cloud Combat. Cette approche modulaire et scalable, confirmée par Emmanuel Chiva lors de son audition à l’Assemblée nationale le 4 décembre 2024, laisse d’ailleurs ouverte la possibilité d’une coexistence de plusieurs modèles de chars lourds dans les arsenaux français et allemands.
Les solutions dites « intermédiaires », comme la modernisation des Leclerc (version Évolution) pour la France ou le développement du Léopard 3 en Allemagne, ne sont donc pas des concurrents directs du MGCS, mais plutôt des ponts technologiques, intégrant progressivement les innovations qui équiperont demain le système MGCS dans son ensemble.
De ce fait, cette stratégie va permettre aux armées de pouvoir intégrer des technologies matures plus rapidement, tout en répondant à l’évolution des menaces sur le champ de bataille. Dans ce cadre, le MGCS s’inscrit davantage dans une logique de rupture capacitaire que dans une simple succession de matériels.
Ainsi, le MGCS incarne à la fois une ambition politique et une complexité industrielle. Il symbolise la volonté d’une Europe de la défense qui se réarme face aux défis multiples du XXIe siècle, mais il révèle également les limites des projets conjoints dans une industrie fragmentée par des intérêts nationaux souvent divergents. Si la récente structuration autour de la « MGCS Project Company » permet d’espérer une certaine stabilisation du programme et un projet relancé. Néanmoins, l’avenir du MGCS dépendra premièrement de la capacité de la France et de l’Allemagne à dépasser la logique du « chacun pour soi » pour bâtir ensemble une véritable souveraineté technologique et militaire européenne.
Mathias Comandré, Analyste au sein de la Commission de Défense Terrestre de l’INASP
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Pour aller plus loin :
IFRI. « Des jumeaux mal en point : le SCAF et le char du futur, et la coopération franco-allemande », consulté en avril 2025.
Portail de l’Intelligence Économique. « Le char lourd de combat MGCS : un programme européen ou euro-pépin ? », 2023.
Opex360. « La France pourrait développer son propre char de combat dans le cadre du projet MGCS », 5 décembre 2024.
L’Usine Nouvelle. « Rheinmetall et Leonardo créent une co-entreprise pour la fabrication de véhicules de combat », consulté en avril 2025.
Meta-Défense. « Rheinmetall et Leonardo : le KF-51 Panther et le programme MGCS encore plus marginalisé par l’accord industriel germano-italien », 4 juillet 2024.
Opex360. « MGCS : Rheinmetall s’invitera au capital du groupe franco-allemand KNDS en cas d’introduction en Bourse », 17 mars 2025. https://www.opex360.com/2025/03/17/mgcs-rheinmetall-sinvitera-au-capital-du-groupe-franco-allemand-knds-en-cas-dintroduction-en-bourse/
Thales Group. « Signature du pacte d’actionnaires de la société projet (Project Company) du programme MGCS », communiqué de presse, consulté en avril 2025. https://www.thalesgroup.com/fr/monde/defence-and-security/press_release/signature-du-pacte-dactionnaires-societe-projet-project
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