« C’est bien d’avoir des armements interopérables, autant je ne souhaite pas être itar-opérable », alerte Emmanuel Chiva, Délégué général à l’armement, soulignant l’enjeu majeur de la coopération internationale en matière d’armement : l’autonomie stratégique.
L’essor des innovations technologiques et la sophistication coûteuse du matériel de défense font de la supériorité technique une préoccupation vitale pour les États. Dans ce contexte, la coopération internationale apparaît de plus en plus comme un moyen d’assurer la montée en gamme du matériel militaire européen.
L’OTAN, comme l’Union Européenne, s’est organisée afin de répondre à ce besoin. Ces deux organisations adressent une offre de financement principalement destinée aux petits acteurs de l’industrie (start-up, PME, ETI), réputés plus disruptifs et innovants que les OEMs et autres fleurons industriels de renom. En dépit d’une culture en capital-risque limitée en Europe, les initiatives comme le Defence Innovation Accelerator for the North Atlantic (DIANA), le NATO Innovation Fund (NIF), la Defence Equity Facility (DEF) du Fonds européen d’investissement (FEI) ou encore le Fonds européen de défense (FED) ont pour ambition de soutenir substantiellement l’innovation au sein de la BITDE en procurant les moyens matériels et financiers, avec ou sans détention de parts au capital des entreprises. Mais la multiplication des initiatives — qu’il s’agisse de subventions, d’appels à projets, de souscriptions à des véhicules financiers en tant que Limited Partner (LP), ou de prises de participation directe au capital des entreprises en tant que General Partner (GP) — aux échelles nationale, régionale ou internationale, contribue-t-elle réellement à renforcer la coopération entre les États européens membres de l’OTAN et de l’Union européenne, ou au contraire, à en diluer l’efficacité ?
Lancé en 2016 à l’initiative de la France, avec le soutien de l’Allemagne, de l’Italie et de l’Espagne, le FED est aujourd’hui le principal levier de l’Union européenne pour renforcer son autonomie stratégique et l’interopérabilité de ses équipements en matière de défense. Doté d’un budget global de 7,9 milliards d’euros pour la période 2021-2027, il finance chaque année des projets de recherche et de développement, réunissant en moyenne une quinzaine d’industriels européens par consortium. En 2023, sa troisième année de mise en œuvre, 61 projets ont été sélectionnés pour un montant total de 1,15 milliard d’euros : 304 millions d’euros pour des projets de recherche intégralement financés par le FED, et 850 millions pour des projets de développement cofinancés avec les États membres et la Norvège, partenaire extra-UE du programme. Malte, en raison de sa politique de neutralité militaire, reste le seul État membre non impliqué.
Les industriels français ont été retenus à 102 reprises (dont les PME à 29 reprises), devançant les entreprises italiennes, allemandes et espagnoles. Les autres États participants comptent au moins une entreprise sélectionnée dans l’un des projets soutenus.
En 2025, le programme de travail du FED est doté de 1,46 milliards d’euros, dont 336 millions pour le programme EUDIS (EU Defence Innovation Scheme, programme qui vise précisément à renforcer le domaine de l’innovation). Cette enveloppe est investie sous la forme de subventions pluriannuelles, accordées à 40% des entreprises qui répondent aux appels à propositions publiés par la Commission Européenne.
Depuis 2014 et l’engagement fixant les dépenses de défense des pays de l’OTAN à hauteur de 2% de leur PIB, les États membres sont également tenus de dédier 20% de leurs dépenses au développement et à l’acquisition de technologies de rupture. En deçà de ce montant, on considère que l’écart se creuse entre les capacités et l’interopérabilité des alliés. C’est dans cet objectif que plusieurs initiatives sont mises en œuvre à l’échelle de l’alliance, comme l’Accélérateur d’innovation de défense (DIANA, 2021) et le fonds de l’OTAN pour l’innovation (NIF, 2021). Le NIF est un fonds multi-souverain à forte consonance européenne (24 Etats participants dont 22 pays de l’Union Européenne, le Royaume-Uni et la Turquie) est doté d’un milliard d’euros financé intégralement par les Etats membres, sans le concours de financement externe comme celui des Etats-Unis. La stratégie du véhicule financier, déployé sur 15 ans, vise des investissements en capital-risque allant jusqu’à 15 millions d’euros par opération. Le fonds intervient principalement aux premiers stades de développement des entreprises (Pre-seed, Seed, Series A, Series B), en tant qu’investisseur principal.
Ainsi, le NIF investit directement en fonds propres dans les start-ups ciblées, mais également dans des véhicules financiers européens spécialisés en Deep Tech, en tant que Limited Partner via cette approche indirecte. Une logique comparable se retrouve au niveau de l’Union européenne avec la Defence Equity Facility (DEF), initiative lancée fin 2023 par le Fonds européen d’investissement, qui intervient elle aussi comme Limited Partner en souscrivant à des fonds de capital-risque ou de capital-investissement ciblant des entreprises uniquement européennes développant des technologies de défense innovantes à double usage.
La complémentarité des deux organisations OTAN/UE se traduit par une coopération renforcée dans le domaine des projets relevant du secteur dual. En l’occurrence, en juillet 2024, le NIF a annoncé une collaboration avec le Fonds européen pour l’innovation (FEI). Le FEI est relié à la Banque européenne d’investissement (BEI) dont le mandat a récemment évolué afin de pouvoir cibler des investissements duaux (et non plus uniquement civils). Il soutient directement les start-ups, PME et ETI du secteur de l’innovation. Un partenariat qui illustre l’objectif principal de ces dispositifs : pallier le manque d’investissements dans les start-ups en Europe et soutenir l’innovation de rupture en Europe. Leur stratégie vise à encourager les investissements privés, à diversifier les sources de financement des entreprises européennes, et à concevoir de nouveaux instruments financiers mieux adaptés à leurs besoins.
Les stratégies de financement, bien que variées, restent néanmoins complémentaires. Le NIF finance l’innovation de manière ponctuelle, notamment par des prises de participation, directes ou indirectes, dans des entreprises qu’il a choisies. À l’inverse, le FED privilégie un financement sous forme de subventions pluriannuelles, sans prise de contrôle ou immixtion au capital des sociétés qu’il soutient.
De plus, l’Union européenne et l’OTAN déploient une stratégie de soutien à l’innovation fondée sur la mise en commun de moyens matériels entre États membres. Cette approche se concrétise par la mise en place de dispositifs structurants tels que l’incubateur DIANA, ou encore la plateforme de test FACT (Federal Advanced Cyber-Physical Test Range), créée en 2022 à l’initiative du FED. Cette dernière offre un environnement d’expérimentation partagé, reposant sur une architecture commune et une boîte à outils dédiée aux essais cyber-physiques. L’ensemble de ces initiatives visent à structurer un écosystème européen favorable à l’émergence et à la maturation de technologies de défense innovantes.
Il est également important de noter que les mécanismes de financement mis en place par les organisations européennes ne prennent généralement pas la forme de crédits bancaires lorsqu’il s’agit de technologies exclusivement militaires (non-duales). C’est notamment la position historique adoptée par la BEI. C’est dans ce contexte que l’ancien responsable de l’innovation au sein de l’OTAN, Robert Murray, initie la création d’une banque dédiée à la défense, la Defense, Security and Resilience Bank (DSR), soutenue par des financements publics et privés en provenance du Royaume-Uni, des États-Unis et de l’Union européenne, pour financer l’industrie de défense de ces géographies.
Alors qu’interopérabilité et complémentarité figurent au cœur des objectifs de ces programmes, la coopération entre les États membres européens rencontre des limites tant structurelles que politiques qui nuisent à leur réalisation.
Le NIF parvient à fédérer 24 États des 32 alliés mais la France n’en fait pas partie, contrairement à la Turquie, au Royaume-Uni et à l’Islande, seuls États hors-UE concernés. Alors que la France est considérée comme l’un des plus fervents soutiens de « l’Europe de la défense », son absence au sein de cette initiative est remarquée. La raison de cette absence réside dans les dispositifs nationaux existants : la France soutient ces entreprises de manière souveraine avec la création successive de véhicules financiers dédiés tels que Definvest (en lien avec Bpifrance et la DGA, créé en 2018), le fonds d’innovation de défense et l’initiative France 2030 (créés en 2021). L’État est également investisseur dans des fonds thématiques spécialisés, tels qu’Ace Aéro Partenaires 1 et Ace Aéro Partenaires 2. Ces fonds, déployés par Tikehau Capital en 2020 et en 2024, investissent dans des entreprises des secteurs de l’aérospatial et de la défense, avec une forte composante aéronautique.
La Cour des comptes a toutefois souligné dès 2023 l’opportunité que présente un investissement accru de la France dans la structure proposée par l’OTAN.
Dans l’urgence provoquée par la guerre ukrainienne, la réponse organisée des États européens s’est traduite par un recours massif à la Facilité Européenne pour la Paix, au détriment du Fonds européen de défense.
Le FED a pour objectif de favoriser la coopération de long terme et peut paraître inadéquat dans l’urgence. Ce qui différencie ces deux programmes, c’est la limite géographique, qui ne s’applique pas à la Facilité Européenne pour la Paix. La contrainte de produire européen constitue un facteur de désaccord entre les pays membres qui limite leur coopération. Et le peu de projets de coopération en discussion se heurte à des limites structurelles (Système de Combat Aérien du Futur – SCAF, Main Ground Combat System – MGCS).
Entre 2019 et 2023, les États-Unis ont représenté 55% des acquisitions de matériel de défense, soulignant ainsi l’importance de la coopération européenne, qui devient de plus en plus indispensable. Le modèle américain, en particulier ses initiatives en matière d’innovation disruptive de défense, demeure une référence pour les organisations européennes. À cet égard, la DARPA (Defense Advanced Research Projects Agency), créée en 1958, incarne un exemple marquant d’agilité en matière de recherche et développement dans ce domaine.
Pour les entreprises européennes, les financements de l’innovation sont fragmentés entre financements nationaux et financements des organisations régionales/internationales. Les financements nationaux varient en termes d’homogénéité et d’efficacité selon les pays, tandis que des fonds spécifiques, comme ceux du FED ou du NIF, sont conçus pour répondre aux besoins définis par les doctrines d’innovation et les exigences militaires établies par l’OTAN et la Commission Européenne.
Ces doctrines évoluent et peuvent diverger en fonction des contextes géopolitiques, des avancées technologiques et des orientations stratégiques ou éthiques des organisations. Par exemple, l’aspect éthique suscite une division entre les doctrines de l’OTAN et de l’Union Européenne concernant l’utilisation des armes autonomes : tandis que l’OTAN les accepte sous certaines conditions, avec un contrôle humain approprié, l’Union européenne prône une régulation beaucoup plus stricte, imposant un contrôle humain obligatoire pour toute décision létale.
Un autre cas illustratif porte sur l’acquisition et le développement de matériel de défense. Tandis que l’OTAN favorise cette approche par souci d’interopérabilité avec les Etats-Unis, l’Union européenne entend aujourd’hui privilégier des projets souverains et des achats de matériel européen dans un souci de souveraineté et de prise d’indépendance de l’allié nord-américain.
Ainsi, cette dualité de décideurs régissant les mêmes pays et entreprises, peut entraver l’efficacité des investissements en matière d’innovation technologique et de défense.
Le formalisme administratif imposé aux entreprises souhaitant accéder aux financements constitue également un obstacle considérable, en particulier pour les PME et les start-ups, qui manquent souvent de ressources qualifiées et de temps nécessaire pour répondre aux exigences complexes des appels à projets. Ces démarches requièrent fréquemment des activités de lobbying afin de positionner les entreprises auprès des interlocuteurs adéquats. En conséquence, une proportion significative des propositions – entre 60 et 70 % – est rejetée.
Une question demeure : ces refus résultent-ils d’une non-conformité aux exigences administratives ou d’une sélection rigoureuse des projets ? Si cette sélection vise à privilégier les propositions les plus pertinentes afin d’éviter une dispersion des financements, elle peut néanmoins restreindre drastiquement l’accès aux capitaux pour des solutions innovantes jugées trop avant-gardistes et ne répondant pas à court et moyen terme aux besoins des forces armées européennes.
De surcroît, la divergence des besoins entre l’OTAN et l’Union Européenne soulève la question d’une mutualisation insuffisante des investissements, empêchant l’émergence d’une véritable cohérence stratégique. Cette situation bénéficie principalement aux États ayant adhéré aux programmes comme le NIF, creusant un déséquilibre en matière d’accès aux financements et à la mutualisation technologique au sein de l’Europe mais également au sein même du NIF (sur les 24 pays contributeurs, seules les start-ups de 4 pays ont été financées en direct dont 50% au Royaume-Uni et 25% en Allemagne).
La structure du NIF pose également un problème fondamental : en finançant des fonds de capital-risque qui investissent hors d’Europe – comme l’illustrent les participations d’Alpine Space Ventures dans des start-ups américaines – il contribue au développement de solutions extra-européennes avec des fonds provenant de pays européens. De plus, l’absence de contrôle sur la détention et la revente des entreprises financées, notamment via des fonds secondaires comme OTB Ventures, Join Capital, Vsquared Ventures ou Faber, expose ces investissements à des logiques de rentabilité pouvant diverger des enjeux stratégiques et de souveraineté européenne.
Parallèlement, les pays non-membres du NIF, comme la France, voient leurs entreprises exclues de ces initiatives de financement en raison de leur non-adhésion au programme, ce qui limite leur potentiel de croissance et leur capacité d’innovation. Ces faiblesses structurelles mettent en évidence la nécessité de requalification des financements, en capitaux propres ou en subventions opérationnelles, afin d’assurer un développement plus cohérent, équitable et pérenne des capacités européennes.
Il convient également de souligner que le NIF n’accorde pas de financement aux entreprises dont l’activité est exclusivement militaire. Cela concerne notamment des segments stratégiques comme ceux des munitions intelligentes, des armes hypervéloces et des armes à énergies, pourtant essentiels au renforcement de la souveraineté européenne, actuellement fortement dépendante des capacités américaines dans ce domaine. Cette position contraste avec la doctrine de l’OTAN, généralement plus souple en matière de soutien à l’industrie de l’armement que ne l’est celle de l’Union européenne. Dans ce contexte, et compte tenu des réticences persistantes des établissements bancaires et des fonds d’investissement à financer ce type d’actifs, il est étonnant qu’aucune initiative issue de l’OTAN ne vienne pallier ce déficit de soutien à l’innovation dans un secteur pourtant aussi critique pour la sécurité européenne.
Enfin, la divergence des doctrines d’innovation de défense entre l’OTAN et l’Union Européenne, ainsi que l’évolution rapide des contextes géopolitiques, engendrent un risque accru d’obsolescence des projets financés, certains devenant inadaptés à moyen terme. L’absence d’un cadre contractuel clair encadrant l’innovation en Europe et assurant un débouché commercial ou public à ces avancées technologiques accentue encore les failles du système.
Dans un contexte français où l’instabilité politique liée à la dissolution de l’Assemblée nationale et des changements de gouvernements pénalise le développement de la BITD française, cette évolution des normes et des mentalités, soutenue notamment par des mesures réglementaires, voire législatives, pourrait permettre de concilier exigences éthiques, impératifs stratégiques et montée en cadence industrielle dans ce secteur crucial pour notre souveraineté et pour notre économie.
Afin de promouvoir une plus grande efficacité et souveraineté dans l’innovation de défense, il est crucial d’organiser les financements de manière plus structurée.
Tout d’abord, il convient d’éviter que des organisations telles que l’OTAN, à travers le NIF, prennent des participations dans des entreprises ayant vocation à devenir des leaders dans leurs domaines. Cette situation pourrait engendrer une asymétrie d’intérêts entre les États membres, des organisations pouvant évoluer dans leur gouvernance ou leurs directives, et les entreprises souhaitant croître sans subir de restrictions imposées par un organisme interétatique. Il semble plus adéquat que l’OTAN se focalise sur l’aide matériel, avec notamment la mise à disposition d’incubateurs tels que celui du programme DIANA qui demeure un programme ouvert et non réservé aux pays financeurs du fonds.
Au sein de l’Union Européenne, le financement de l’innovation de défense doit continuer à être basé sur des mécanismes financiers tels que des subventions. Il permettrait d’accompagner des start-ups sur le long terme tout en évitant les contraintes capitalistiques contraires à l’intérêt social de l’entreprise et aux enjeux de souverainetés nationales. Ce modèle garantit une indépendance stratégique tout en maintenant une sélection rigoureuse des projets pour assurer un haut niveau d’excellence. En plus de l’innovation technologique, des subventions adaptées pourraient également soutenir la montée en cadence des start-ups. Ces subventions accompagneraient notamment le renforcement des chaînes de production, la hausse des investissements capitalisés ou encore la gestion du besoin en fonds de roulement (BFR) qui est un enjeu crucial pour toute entreprise de la défense dans le cadre de conflits de haute intensité. Cette gestion du BFR est d’autant plus importante pour les start-ups ; leur survie dépendant de leur bonne gestion de la trésorerie.
Outre le soutien au développement, il est impératif de garantir des opportunités de contrats fermes, d’une part auprès du pays d’origine de la société financée et, d’autre part, auprès des États membres ne disposant pas de solutions souveraines nationales. Le financement d’un projet ne doit pas être une fin en soi, mais bien un levier pour garantir une viabilité industrielle et opérationnelle à travers des engagements contractuels concrets.
En ce qui concerne les commandes conjointes, l’Union Européenne a adopté en 2023 l’European Defence Industry Reinforcement through common Procurement Act (EDIRPA), un plan de financement de 300 millions d’euros sur une durée de deux ans qui vise à encourager les États membres à acheter ensemble des équipements militaires pour renforcer l’interopérabilité, faire baisser les coûts et favoriser les productions européennes.
Dans cette perspective, la pérennisation de tels dispositifs de court terme apparaît essentielle, dans la mesure où ils constituent un prolongement cohérent des efforts d’innovation menés collectivement par les États membres. C’est dans ce cadre que s’inscrit la proposition de création de l’European Defence Industrial Programme (EDIP), récemment approuvée par le Parlement européen le 24 avril 2025, mais encore en cours de finalisation. Ce programme est envisagé comme une initiative visant à coordonner, à l’échelle de l’UE, les futurs efforts de cofinancement, de production conjointe et de développement technologique dans le domaine de la défense.
Dans un cadre d’analyse élargi, il pourrait être pertinent d’envisager la mise à disposition et le financement d’un stock intergouvernemental au niveau de l’Union européenne, via un véhicule financier dédié – le Mécanisme Européen de Défense (European Defence Mechanism – EDM), doté d’un capital propre et habilité à émettre des emprunts. Cette initiative, portée par la présidence polonaise en avril 2025 sera au centre des discussions des ministres des Finances des Etats membres parmi d’autres sujets de préoccupations liés au financement de la défense européenne.
Ainsi, un État membre pourrait être désigné pour centraliser les acquisitions d’équipements de défense, selon un modèle inspiré du programme RescEU, lancé en mars 2019 pour renforcer la capacité de réponse collective de l’UE face aux catastrophes naturelles.
Dans le cadre du réarmement de l’Union Européenne via le programme ReArm (proposé en 2025 qui vise à renforcer les capacités militaires de l’UE en mobilisant jusqu’à 800 milliards d’euros), cette mutualisation des ressources pourrait renforcer la résilience, l’adaptabilité et la réactivité face aux crises.
L’intégration des programs of record européens au sein de l’OTAN, en fonction des doctrines, permettrait d’optimiser les financements tout en assurant une convergence stratégique, une interopérabilité et une interchangeabilité au niveau des armées, bénéficiant des mêmes outils. Ces programs of record, largement utilisés aux États-Unis avec des financements provenant de la DARPA ou du Department of Defense, sont un soutien financier structuré pour des programmes de défense spécifiques et disruptifs, de la recherche à la production finale, en passant par la conception, le développement et l’industrialisation. Ces financements, qui s’étalent sur plusieurs années, offrent une forte visibilité et garantissent un produit opérationnel et certifié, avec des commandes préalablement établies par les organes concernés avant la sortie du produit.
En complément des projets financés par le Fonds européen de défense, l’Union européenne a lancé la Permanent Structured Cooperation (PESCO), un programme regroupant près de 60 projets de type « programs of records » en 2025. Bien que distincts du FED, les projets PESCO peuvent bénéficier d’un cofinancement par ce dernier. Toutefois, ces initiatives rencontrent fréquemment des retards significatifs et des obstacles structurels, comme l’illustre le cas emblématique de l’Eurodrone. Ces difficultés tiennent en grande partie aux divergences d’intérêts entre industriels nationaux impliqués dans les projets. Par ailleurs, les projets PESCO ne couvrent que rarement l’ensemble du cycle capacitaire : certains sont axés sur la recherche et le développement, d’autres sur des volets plus opérationnels. Enfin, l’absence de commande préétablie avant la finalisation des projets, conjuguée à l’impossibilité pour l’Union européenne d’émettre des commandes en propre, crée une incertitude structurelle sur la demande réelle, puisque seuls les États membres peuvent, à titre individuel, décider d’y souscrire.
Dans le contexte géopolitique actuel, l’imminence de la menace ne laisse guère de place à la tergiversation ni à la remise en question des moyens existants. Cependant, cette période est marquée par une évolution profonde des mentalités et une prise de conscience accrue de l’importance de l’innovation dans le domaine de la défense, ce qui constitue un moment clé pour poser les bases du futur de l’innovation au sein de l’Europe de la Défense. L’Union européenne dispose d’une capacité d’investissement significative, ce qui constitue un levier majeur pour garantir une indépendance vis-à-vis des États-Unis, surtout dans un contexte où la présence américaine dans l’OTAN et la légitimité de cette organisation est remise en question. Il est essentiel d’harmoniser les pratiques d’investissement en fonction des doctrines d’innovation de défense de l’OTAN et de l’UE, accompagnée d’une revue annuelle des programmes de financement pour anticiper d’éventuels changements doctrinaux et garantir la cohérence des initiatives soutenues.
Paul Brun et Agathe Guyot, Commission spéciale dédiée au Financement de l’Industrie de Défense & Commission Innovation de Défense de l’INASP
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