Le 25 novembre dernier était la 25ème journée internationale de lutte contre les violences à l’égard des femmes, que ce soit dans le cadre du couple ou à cause de leur genre. Si cette journée vise un objectif de sensibilisation internationales, les Nations Unies qualifiant ces violences de « l’une des violations des droits de l’Homme les plus répandues dans le monde »[1], la France a mis ce sujet au cœur de ses priorités en 2017, le plaçant en « 1er pilier de la Grande Cause du quinquennat pour l’égalité entre les femmes et les hommes »[2].
Les violences conjugales regroupent un grand nombre de comportements. Dorothée Cloître, colonel au sein de la Gendarmerie Nationale, les définit comme « les violences commises au sein des couples mariés, pacsés ou en union libre. Cette qualification est également utilisée si le couple est divorcé, séparé ou a rompu un PACS. »[3] Il convient de préciser que cette violence peut être tant physique que psychologique ou économique.[4]
Si la France a débuté un chantier législatif en la matière, visant à améliorer les procédures judiciaires, renforcer la protection des victimes et la répression de ces violences, c’est d’abord grâce au mouvement #MeToo. En effet, il a enclenché une réaction en chaîne de libération de la parole des victimes pour que la Société ne soit plus en mesure de fermer les yeux devant ce phénomène monstrueux tant par les actes commis que par le nombre, et pour que les victimes se rendent compte qu’elles ne sont pas seules et les encourager à dénoncer. La honte, la culpabilité et l’emprise sont autant d’éléments qui bloquent la parole des victimes, comme le souligne la psychologue Marie-José Grihom[5]. Cette parole bloquée nécessite, alors, une écoute particulièrement attentive de la part des forces de l’ordre qui recueillent les plaintes des victimes. Ainsi, entre le 3 septembre et le 25 septembre 2019 s’est donc réuni le Grenelle des violences conjugales à l’initiative du Gouvernement. Par ailleurs, il convient de souligner que, en novembre 2019, le Conseil de l’Europe a pointé du doigt les lacunes de la France en matière de protection des victimes, estimant que le pays en question ne prévoyait pas suffisamment d’établissements d’urgence. Or, ces logements sont notamment prévus par la Convention d’Istanbul sur la prévention et la lutte contre les violences à l’égard des femmes ratifiée par la France 2014. En ne mettant pas suffisamment d’hébergement d’urgence à disposition des victimes de violences conjugales, la France ne respecte donc pas ses engagements internationaux.
Cinq ans après le Grenelle et ce rappel à l’ordre du Conseil de l’Europe, où en est la France dans la lutte contre ces violences, quel bilan peut-on tirer ?
En 2021, le service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI) a réalisé une enquête intitulé « Panorama des violences en France métropolitaine », publiée en novembre 2022[6]. Il en est ressorti que, non seulement les femmes sont surreprésentées parmi les victimes de violences commises par leur conjoint ou partenaire au cours des cinq dernières années, mais en plus que les conjoints ou partenaires en question étaient majoritairement des hommes. Ces ratios se confirment en 2022, où on dénombre 87% d’hommes parmi les auteurs de violences conjugales et 82% de femmes parmi les victimes[7].
Qui sont ces hommes auteurs de violences ? s’il n’y a pas de profil type, un rapport du Haut Conseil à l’égalité a dégagé, en 2005, trois grandes tendances peuvent être dégagées : l’immature, l’agressif et l’égocentrique.[8] Concernant l’immature, il est sujet à une intolérance à la frustration, réagissant de façon surcompensée à la pression par une violence envers autrui[9]. Il ressort des études qu’il est facile de lutter contre la récidive le concernant car il est parfois demandeur d’un traitement thérapeutique.[10] Concernant le deuxième profil, agressif, il considère la violence comme la manière normale d’exprimer ses émotions. Le troisième profil est égocentrique, paranoïaque, privilégie l’emprise sur les autres. A l’instar du deuxième profil, leur prise en charge suppose des groupes de parole, à laquelle une prise en charge individuelle peut être ajoutée[11].
Concernant la prise en charge, il apparaît que, puisque l’autocritique et la remise en question sont difficiles pour ces hommes, ils ont besoin que les soins leur soient imposés par des décisions de justice. Cette obligation de soins peut d’ailleurs être prononcée tant en amont de l’audience, par le Procureur de la République, qu’à l’issue de l’audience par le juge du siège. En tout état de cause, le Haut Conseil à l’Égalité rappelle que : « Pour mieux prévenir la récidive, il est pertinent que le rappel des obligations de la loi et du caractère intolérable de la violence soit réaffirmé solennellement par un magistrat. »[12]. De plus, en application du principe d’individualité des peines, l’arsenal pénal français a été enrichi, dès 2004, de peines de stages de responsabilisation pour les auteurs de violences conjugales. Ils sont prévus par l’article R.131-51-1 du Code pénal et visent à « rappeler le principe républicain d’égalité entre les femmes et les hommes, la gravité des violences quelle que soit leur forme, au sein du couple ou à caractère sexiste et, le cas échéant, le devoir de respect mutuel qu’implique la vie de couple ». En sus de ces stages, qui peuvent être prononcés par le Procureur en dehors du procès pénal, les thérapies sont également des moyens de lutte contre ces violences afin de lutter contre la récidive. Pour ce faire, tous les moyens sont bons, notamment la réalité virtuelle : depuis 2021, le dispositif REAL’VIF est mis en œuvre dans des directions interrégionales des services pénitentiaires (DISP) « dont le but est de permettre aux condamnés de se mettre à la place des victimes et comprendre leur peur »[13].
Par ailleurs, par la loi du 28 décembre 2019, la France a mis en place une mesure nommée le Bracelet anti-rapprochement (BAR) qui joue le double rôle de répression de l’auteur et de protection de la victime. Cette mesure de surveillance électronique, qui s’ajoute aux peines ou aux mesures de contraintes appliquées durant l’enquête, consiste en un bracelet électronique porté à la cheville pour l’auteur et en un dispositif de géolocalisation pour la victime qui crée autour d’elle une zone dans laquelle l’auteur ne peut entrer. Cette zone est fixée par le magistrat, ne pouvant être inférieure à 1km et supérieure à 10km en application des articles R.24-14 et suivants du Code de procédure pénale. Les forces de sécurité intérieure (FSI) sont largement mobilisées pour la mise en œuvre de ce dispositif puisqu’elles sont avisées dès la pose d’un bracelet anti-rapprochement (BAR) dans leur zone. Elles sont prévenues lors d’incidents relatifs à la personne condamnée tels qu’un bracelet sectionné ou une entrée dans la zone de la victime. Ce dispositif, qui fait partie des mesures prises à l’issue du Grenelle, permet aux personnes condamnées de sortir du cycle de la violence et à la victime de continuer à être protégée pendant toute la durée de la mesure qui peut durer entre 6 mois et deux ans.[14] Notons enfin que ce bracelet peut tant être prononcé par le juge pénal que par le juge civil dans le cadre d’une ordonnance de protection. En tout état de cause, que la mesure soit prononcée par le juge civil ou le juge pénal, la violation par l’auteur de ses obligations constitue une infraction au sens de l’article 227-4-2 du Code pénal[15].
En 2019, le Grenelle a mis en avant les caractères illisible, long et pénible de la procédure judiciaire pour les victimes. Là encore, les Forces de Sécurité Intérieure (FSI) sont mobilisées et mises au premier plan pour la protection de ces femmes. Il ressort des mesures prises à la suite du Grenelle que le législateur a compris l’importance de la plainte de la victime, par laquelle les poursuites commencent. Tout d’abord, dans un objectif de facilitation du dépôt de plainte, les forces de l’ordre peuvent se déplacer chez la victime, un tiers ou même un local d’association pour recueillir la plainte de la victime. Par ailleurs, en application d’un partenariat entre les forces de l’ordre, les établissements hospitaliers et les parquets, les victimes peuvent directement porter plainte dans les structures hospitalières.[16]
Le recueil de la plainte de la victime ne va pas sans un accueil approprié des femmes par les agents de police ou de gendarmerie. Dorothée Cloître souligne en effet que les victimes de violences conjugales ne sont pas des victimes comme les autres et, à ce titre, méritent une attention et une écoute particulières. Aussi, dès leur formation initiale, policiers et gendarmes sont formés à l’accueil de ces femmes et, pour s’assurer de la qualité du traitement des victimes en commissariats et gendarmerie, des audits annuels ont lieu depuis 2019.[17] Si la victime ne souhaite pas porter plainte, la main courante n’étant pas possible dans le cas de violences conjugales, le Parquet engage les poursuites d’office[18]. Lors de l’enquête, la victime est informée, dès le début, de ses droits listés aux articles 10-2 à 10-6 du Code de procédure pénale, parmi lesquels figurent notamment le fait de bénéficier d’un dispositif de bracelet anti-rapprochement ou le droit d’être hébergé par un tiers.[19] L’enquête est censée être placée au sommet des priorités pour les forces de l’ordre et autorités judiciaires, ce qui implique « célérité, efficacité et réactivité »[20].
Durant l’enquête et après l’audience, la victime peut se faire accompagner par des associations spécialisées et des psychologues affectés dans des commissariats ou des gendarmeries. De plus, après l’audience, la protection de la victime continue par l’ordonnance par le juge du bracelet anti-rapprochement et du téléphone grave danger (TGD). Si le premier rend plus effective les interdictions de contact décidées par le juge, le deuxième est attribué par le Parquet et est un dispositif d’alerte pour prévenir les forces de l’ordre que la victime se trouve dans une situation de danger nécessitant leur intervention rapide.[21]
Si la procédure pénale tourne plutôt autour de la personne prévenue ou accusée, force est de constater que les violences conjugales changent quelque peu le paradigme, plaçant la victime en son sein. À cet égard, soulignons que, s’il est évidemment nécessaire de préserver les droits de la défense, l’on peut noter l’importance de la victimologie ici et l’accent mis sur la sécurité de la victime. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la médiation pénale n’est pas possible en cas de violences conjugales. Cette mesure alternative aux poursuites est proposée par le Procureur de la République et vise à éviter la lourdeur du procès pénal pour des infractions de faible gravité tout en permettant un dialogue entre la victime et l’auteur en présence d’un médiateur et, si les parties le souhaitent, de leurs avocats.[22] Toutefois, les violences conjugales étant le résultat d’une domination de la part de l’auteur sur sa victime[23], le risque d’emprise psychologique du premier sur la deuxième est trop important. De plus, la médiation pénale n’ayant pas pour objectif le prononcé d’une peine, le médiateur n’ayant pas ce pouvoir, les parties retrouvent leur situation à la fin de la mesure ; en l’espèce le retour à une vie commune, ce que les peines en la matière tentent absolument d’éviter.
Entre le 1er janvier 2024 et le 10 novembre 2024, 117 féminicides ont été dénombrés.[24] Sur l’année 2023, 115 féminicides ont été enregistrés[25], chiffre auquel il faut ajouter le chiffre noir de la criminalité qui rend le décompte exact des actes commis particulièrement délicat. Au regard de ces chiffres, se pose la question de l’efficacité des mesures mises en place.
Trois ans après le Grenelle, en 2022, la Première ministre Elisabeth Borne a présenté un premier bilan divisé en trois volets : l’hébergement, la justice et la sécurité. Concernant l’hébergement, 10 000 places d’hébergement ont été annoncées pour la fin de l’année 2022, soit 1000 de plus que ce qui était attendu ; 1000 places supplémentaires ont été annoncées pour l’année 2023 avec un accent mis sur la protection des femmes résidant en zones rurales ou en villes moyennes. Le volet justice est quant à lui marqué par une volonté de spécialisation des acteurs de terrain qui poursuivent et répriment les auteurs de violences conjugales et accueillent les victimes. Enfin, la sécurité des victimes est renforcée par, là encore, la spécialisation des acteurs de terrain et le renforcement des équipes d’intervenants sociaux dans les gendarmeries et commissariats dont le nombre passera de 400 à 600.[26]
Ces mesures démontrent l’engagement de moyens dans la lutte contre les violences conjugales. Toutefois, l’on peut se demander si la France en met suffisamment. En effet, l’un des pays de référence en matière de lutte contre ces violences est l’Espagne qui a construit, en 2017, un plan sur 5 ans auquel un budget d’un milliard d’euros a été alloué. Ce plan, nommé Pacte d’État contre la violence conjugale, prévoit près de 300 mesures visant à rompre le silence autour de ces violences et à améliorer les réponses institutionnelles. La France dépense 184,4 millions d’euros dans la lutte contre les violences au sein des couples. Par ailleurs, l’on constate une répression plus forte et sûre des auteurs de violences conjugales en Espagne qu’en France : 36000 condamnations prononcées en Espagne, 18 600 en France pour une population 30% supérieure. De même, en Espagne, l’ordonnance de protection est prononcée dans 17 fois plus de cas qu’en France où elle est obtenue en moyenne dans un délai de 6 jours contre 72h chez nos voisins.[27]
Si l’on ne peut contester les efforts mis en œuvre par la France dans la lutte contre ces violences, le nombre de féminicides montre que des améliorations peuvent encore être menées.
Mahaut d’Hébrail, Présidente de la Commission Sécurité Intérieure
[1] Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes | Nations Unies
[3] https://shs.cairn.info/revue-cahiers-de-la-securite-et-de-la-justice-2023-3-page-44?lang=fr
[4] https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F12544
[5] Pourquoi le silence des femmes ? Violence sexuelle et lien de couple | Cairn.info
[8] https://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/IMG/pdf/violences-couple.pdf
[9] Coutanceau, R. (2016). Évaluation et prise en charge du conjoint violent. Tiers, N° 17(2), 75-90. https://doi.org/10.3917/tiers.017.0075.
[10] Ibid.
[11] Ibid.
[12] Ibid.
[13] https://sciencepost.fr/en-france-on-experimente-la-vr-pour-lutter-contre-les-violences-conjugales/
[15] https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000049715097
[16] https://shs.cairn.info/revue-cahiers-de-la-securite-et-de-la-justice-2023-3-page-44?lang=fr
[17] Ibid.
[20] https://shs.cairn.info/revue-cahiers-de-la-securite-et-de-la-justice-2023-3-page-44?lang=fr
[21] Ibid.
[22] https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F1824
[23] En ce sens, cf. : Sueur, G. et Prigent, P. (2022). Mères « aliénantes » ou pères violents ? Empan, n° 128(4), 69-76. https://doi-org.docelec-u-paris2.idm.oclc.org/10.3917/empa.128.0069.
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